Un avant-goût de Chouannerie
Le 12 juillet 1790, l'Assemblée nationale décide de mettre l'organisation de l'Eglise en harmonie avec le nouveau régime politique. Elle supprime presque complètement l'autorité du Pape. Les évêques et les prêtres doivent désormais être élus. Les territoires des paroisses et des évêchés doivent coïncider avec ceux des communes et des départements. Certains d'entre eux seront donc supprimés.
Assemblée Nationale dans la Salle du Manège aux Tuileries
Bien sûr, le clergé proteste mais, irritée, l'Assemblée décide en janvier 1791 d'exiger des ecclésiastiques de prêter serment à la Constitution civile et un refus équivaut à un abandon du ministère. Au niveau national, 55 % des prêtres accepteront, mais en Bretagne, surtout dans les campagnes où l'on est plus contre-révolutionnaire que dans les villes, seulement un sur quatre.
Toussaint LE HERISSE, né à La Mare en Hénon en 1743, est d'abord recteur à Meslin puis, à partir de 1780, il arrive à Quessoy. Comme beaucoup de ses confrères, il refuse de prêter serment et se voit donc obligé de quitter son presbytère et part se réfugier au château de La Roche Rousse en juin 1791.
Château de La Roche Rousse, vu du tertre
Il laisse la place à l'abbé LE MARECHAL, prêtre constitutionnel, accueilli comme il se doit par le maire Olivier MORIN, qui se plie aux lois. Mais, excédé par les paroissiens qui le chahutent sans cesse, il ne tiendra son poste que trois mois.
En octobre, arrive un nouveau prêtre : l'abbé Julien LE GALL. Son installation n'est pas aisée, il lui faudra l'aide d'un détachement de la garde nationale. La municipalité lui remet les clés du presbytère mais le sacristain refuse de l'aider. Plus grave, pour sa première messe, le pain eucharistique reste introuvable et c'est à Moncontour que l'on est obligé d'aller le chercher. L'abbé LE GALL a la vie dure. Il subit beaucoup d'affronts. Lui et le peu de gens qui assistent à ses offices se font sans arrêt insulter. Le sacristain ne lui crée que des ennuis, au lieu de le servir, il allume les cierges en début de messe et s'en va. LE GALL se sent méprisé. Même la municipalité s'y met en lui refusant les registres paroissiaux. On ne lui a mis à disposition que des ornements liturgiques usagés, vieux et sales, tandis que tout ce qui "brille" sert à l'abbé LE HERISSE qui continue d'officier en cachette pour une foule de paroissiens préférant ses messes basses.
Le 26 mai 1792, un décret ordonnant la déportation des prêtres réfractaires voit le jour. Malgré cela, L'abbé LE HERISSE continue de célébrer en secret. On le recherche mais à la moindre alerte, les paroissiens, avertis par le tocsin sonnant à la chapelle du château, accourent sur le tertre de La Roche Rousse pour prêter main forte à leur recteur.
Chapelle de La Roche Rousse
En juin, LE GALL se plaint de plus en plus. La vie lui est impossible. De plus, le ton monte dans la communauté quessoyaise. On proteste contre la fermeture des chapelles et de certaines églises, contre le comportement excessif des républicains. Les paysans se rendent compte également que leurs impôts deviennent nettement plus lourds.
Le 21 juillet, une dizaine de gendarmes fait son apparition dans le bourg. Leur mission : calmer l'agitation croissante. Aussitôt, les cloches se mettent en branle aux chapelles environnantes. Un rassemblement de paroissiens se forme et grossit de plus en plus. Pendant deux heures, le tocsin est sonné, et des gens, armés de fusils pour certains, de faux, de fourches ou de simples bâtons, arrivent de toute part. L'abbé LE GALL, pour mettre sa vie en sécurité, préfère attendre la nuit pour déguerpir en douce.
Le lendemain, 22 juillet, environ 800 personnes envahissent à nouveau le bourg à sa recherche, mais ne trouvant pas LE GALL, ce sera sa soeur, ses neveux et sa servante qui seront chassés. Puis tout le monde se dirigera vers le tertre de La Roche Rousse pour y attendre un nouveau détachement de gendarmerie envoyé de Saint- Brieuc (ou plutôt Port-Brieuc) pour remettre de l'ordre et perquisitionner au château. A peine arrivé, il sera mis en fuite par la foule armée.
Quelques semaines après ce triomphe, en septembre, dans la crainte d'attirer des malheurs sur une population qui lui était si dévouée, l'abbé LE HERISSE prendra la décision de quitter ses paroissiens. Il s'exilera à Jersey puis en Angleterre où il mourut en 1797.
Le maire, Olivier MORIN, fut suspendu de ses fonctions et dénoncé, ainsi que ceux qui avaient sonné le tocsin aux chapelles, au tribunal criminel de Saint-Brieuc.
Le château de La Roche Rousse et sa chapelle furent condamnés à la destruction. Heureusement, ils furent sauvés, juste la cloche disparaîtra, confisquée.
L'étendard de la révolte et de la rébellion a flotté sur Quessoy ce mois de juillet 1792. Après ce succès, les Quessoyais étaient fin prêts pour la contre-révolution qui allait suivre (dès mars 1793) avec à leur tête un jeune chef chouan natif de Bréhand nommé Amateur DE BOISHARDY, mais ceci est une autre histoire...
Le tertre de la Roche Rousse avec la chapelle (à gauche), lieu des événements de juillet 1792