Le blé noir
Nous avons déjà parlé du chêne et de la besi mais il existe une autre plante emblématique de notre région : le blé noir.
Fagopyrum esculentum
Le blé noir aurait fait son apparition en France au 12ème siècle, au retour des croisés qui le ramenèrent d'Asie Mineure d'où son nom de sarrasin. Nous l'appelons " blé noir " mais il n'a rien du blé et appartient aux polygonacées comme l'oseille et la rhubarbe, même si par sa culture et son utilisation on a tendance à le classer parmi les céréales.
Au 15ème, il prend sa place dans les campagnes bretonnes où les terres et le climat tempéré lui conviennent parfaitement. Il fournit l'aliment quotidien et sans lui, les gens pauvres auraient beaucoup à souffrir de la faim. On apprécie ses maigres besoins, son rendement élevé. De plus, introduit tardivement en France, le blé noir n'est pas soumis aux impôts comme les autres grains. Et, puisqu' il reste à la ferme, pas besoin non plus de payer le moulin banal du seigneur ni le four comme pour le pain.
La culture du sarrasin arrivera à son apogée vers 1860. Mais dès la fin du 19ème, elle régresse pour devenir même marginale dans les années 1980. Ce déclin s'explique par l'amélioration des sols (moins de terres pauvres), les variations importantes du rendement et la valeur nutritive moindre que les autres céréales. Il est aussi plus intéressant de cultiver la pomme de terre.
Pourtant la tradition culinaire (galettes, Kig ha farz, bouillie,...) reste très vivante et oblige sans cesse à accroître les importations de blé noir de Chine principalement ou du Canada.
Le temps des semailles
En notre pays gallo, on appelle la semaine qui englobe le 10 juin " la semaine guernue ". C'est elle qui convient le mieux au blé noir. La durée courte d'exploitation permet de le semer tardivement. " Sème ton blé noir quand tu voudras, en 4 mois tu le cueilleras ", dit-on.
Le temps de la pousse
La germination est très rapide, en 5 jours la pousse sort de terre. Un mois après le semis, on peut voir déjà les premières fleurs.
Fin août, les tiges commencent à rougir, les fleurs se transforment en grappes grisâtres. Environ 120 jours après le semis, il est temps de récolter, les tiges ont viré au rouge carmin, les feuilles supérieures tombent, le grain est gris.
Le temps de la récolte
" La récolte du blé noir a lieu en septembre. Elle doit se faire par beau temps si l'on veut qu'elle soit honorable. Généralement, la faucille suffit pour la couper. Le moissonneur ayant coupé la valeur d'une bonne javelle, la ramène contre son genou en tenant les épis d'une main et étalant de l'autre les tiges pour en faire une sorte de cône qui tiendra debout sans lien. C'est ainsi que les champs moissonnés de blé noir ressemblent à des campements militaires de tentes à reflets rouges que le vent met en rumeur.
On bat encore le blé noir au fléau alors que la moisson blanche se fait depuis longtemps à la batteuse. Il paraît que cela vaut mieux, que cela prépare le travail suivant qui est le foulage.
Le foulage consiste à débarrasser le grain de la pellicule coriace qui le recouvre. Quand ce grain est parfaitement sec, on le met en tas. Les fouleurs se déchaussent, ils tournent autour du tas en appuyant bien leurs pieds nus sur le grain qui se trouve sur le bord et en leur imprimant un mouvement de frottement pour faire éclater la pellicule. A mesure qu'ils tournent, le grain dégringole du flanc du tas si bien qu'à la fin de l'opération il se trouve de nouveau étalé bien à plat mais déjà décortiqué aux trois quarts. A coups de pelle, on le remet en tas et on recommence jusqu'à ce qu'on le juge complètement déshabillé, prêt à être passé dans le tarare. " Description de Pierre-Jakez Hélias.
Après, il faut avoir soin de le passer au " ventoué " pour le rendre bien propre et de le stocker bien sec au grenier.
Le temps de cuisiner
La farine de blé noir est plus fragile et se conserve moins longtemps que celle du blé. Aussi, les paysans moulaient au fur et à mesures de leurs besoins à l'aide d'un moulin à main qui était généralement fixé sur une poutre du grenier à grain.
Moulin à blé noir (fin 19ème)
Il est temps maintenant de mettre la main à la pâte, mais ceci est une autre histoire...
Le temps de chanter
FLEUR DE BLE NOIR
Chanson de Théodore Botrel
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Sur les bords de la Rance où j'ons vu le jour,
J'ons la douce espérance d'être aimé d'amour
Dans une métairie comme aide-berger
Pour mieux voir ma jolie je me suis gagé.
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Refrain
Ah, nulle Bretonne n'est plus mignonne à voir
Que la belle que l'on appelle Fleur de Blé Noir.
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Lorsque je l'ons croisée un soir dans le blé
Si blanche et si rosée j'en fus aveuglé
Et ma lèvre ravie murmura : "bonsoir !
Salut à vous, Marie la Fleur de Blé Noir !"
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C'est dans les blés de même par un soir doré
Que je li dis: "je t'aime toujours t'aimerai !"
C'est dans les blés encore qu'au doigt je li mis
Le quinze août dès l'aurore l'anneau des promis.
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Allons gâs et fillettes fauchez les moissons
Car les récoltes faites nous nous épouserons.
Et puis dans la nuit claire nos gens rassemblés
En dansant battront l'aire où l'on bat les blés.
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Vivant la vie heureuse que Dieu nous fera
Attendons la faucheuse qui nous fauchera
Quand vous verrez que tombe notre dernier soir,
Semez sur notre tombe des Fleurs de Blé Noir.